Outil indispensable pour la recherche documentaire, l’indexation n’est pourtant pas pratiquée de manière systématique dans les services d’archives. Dès lors, pourquoi chercher à conserver de la meilleure manière possible des documents qui se retrouveront de toute manière inaccessibles au public puisqu’indifféremment noyés au sein des différents fonds d’archives ? Dans un cours portant sur le classement, la description et l’indexation des fonds et documents iconographiques dispensé le 5 octobre 2015 à l’attention des étudiants du Master 2 Métiers des archives et des bibliothèques, Mme Marie-Noëlle Perrin, responsable des fonds iconographiques et privés aux Archives municipales de Marseille, expliquait en quoi l’indexation était une opération difficile, en particulier pour les images fixes. Ainsi, comment concilier les spécificités des documents iconographiques avec les enjeux posés par l’indexation dans le cadre des nouveaux usages du numérique ?
L’indexation est une opération intellectuelle qui vise à rendre compte du contenu d’un document sous une forme concise, à l’aide d’un langage documentaire défini à l’avance. Cette démarche semble complexifiée pour les images fixes à cause de trois facteurs principaux :
- Tout d’abord, trop souvent considérées – à tort – comme des documents directement intelligibles, les images fixes requièrent en réalité un travail de décryptage et de recontextualisation sans lequel elles resteraient inexploitables et invisibles pour les usagers des centres d’archives. C’est pourquoi une indexation pertinente de l’image doit se construire sur la base d’une analyse fine de ce document hautement polysémique, et non à partir de l’image brute, comme l’a bien montré Mme Marie-Noëlle Perrin.
- Par ailleurs, l’inadéquation du texte pour indexer de l’image demeure un problème central dans le cadre de ce traitement documentaire. En effet, comment procéder à la transcription textuelle des données extraites de l’image ? Et comment concilier ces deux registres de représentation du réel ? Afin de contrer les différents écueils qui en découlent, Gérard Régimbeau évoque notamment la notion d’une construction intertextuelle de l’indexation dans son article « Cas et figures en indexation de l’art contemporain ».
- En outre, la seule norme Afnor Z47-102 à laquelle il est possible de se référer pour l’indexation des images fixes se révèle à la fois trop ancienne et insuffisante. D’une part, elle date d’octobre 1993 et ne tient donc pas compte de la révolution numérique qui a bouleversé, puis transformé, les pratiques professionnelles ces dernières années. D’autre part, elle ne définit que des principes généraux pour l’ensemble des documents, quelle que soit leur nature. L’absence d’harmonisation globale au niveau de la structuration de langages documentaires adaptés aux documents iconographiques s’avère ainsi très regrettable1.
Ces spécificités de l’image fixe ont une influence sur le processus d’indexation et doivent alors se conjuguer avec les nouvelles problématiques imposées par les pratiques du numérique.
Une croissance permanente du nombre de contenus à indexer
Alors que les contenus se multiplient de plus en plus vite sur Internet, l’indexation des images fixes implique, pour les professionnels de la documentation et des archives, le traitement d’une masse documentaire énorme et continuellement grandissante. Quelques chiffres à titre d’exemple : la base du réseau de musées et d’institutions dédiés à l’art moderne et contemporain Videomuseum recense 235 000 images2. La bibliothèque municipale de Lyon gère quant à elle 875 855 documents iconographiques3 (estampes et photographies), dont 48 880 sont mis en ligne sur la base Photographes en Rhône-Alpes ; c’est déjà beaucoup et cela ne représente pourtant qu’un dix-huitième environ de la collection entière4. Autant de documents qu’il faut collecter, numériser, classer, décrire puis, enfin, indexer un par un pour les rendre accessibles auprès du public. L’indexation est une activité chronophage donc difficile à mettre en place dans tous les services d’archives, mais dont la nécessité ne cesse pourtant de croître avec le nombre toujours plus important de documents à conserver et valoriser.
Une logique d’indexation adaptée aux pratiques de recherche des usagers
De plus, l’indexation est un outil pour la recherche : il importe donc qu’elle soit guidée par une logique adaptée aux pratiques concrètes des usagers, et non aux seules fins de classement des documents. En proposant de nouveaux services tels que la recherche en plein texte ou encore une barre de recherche unique, les bases de données documentaires gagnent à se rapprocher de fonctionnalités héritées des grands moteurs de recherche – Google en tête – qui sont désormais ancrées dans le quotidien des usagers. Toutefois, là encore, l’image fixe pose problème : quel équivalent numérique à la recherche plein texte pourrait s’appliquer aux documents iconographiques ? Cela revient en fait à se demander une nouvelle fois : comment transcrire à l’écrit les données cryptées par l’image ?
L’émergence de nouveaux procédés d’indexation : l’indexation collaborative
Si l’indexation collaborative, nouvelle piste qui s’envisage sur Internet, ne permet pas de résoudre ce problème d’inadéquation fondamentale entre image et texte, elle tente néanmoins de remédier au manque de moyens pouvant être déployés pour cette tâche. On peut citer comme exemple l’entreprise d’indexation collaborative mise en place par les Archives départementales de Loire-Atlantique sur leur site Internet. Ici, cette démarche s’accompagne de visées pédagogique et ludique : la sensibilisation des usagers à la conservation des archives et au métier d’archiviste, ainsi que la possibilité de retrouver les traces de ses ancêtres. De fait, l’indexation collaborative est le résultat d’une conjoncture de deux éléments décisifs : d’abord, le manque de moyens et de temps de la part des centres d’archives et de documentation pour la production de ces notices ; puis, l’émergence d’une forte demande participative de la part des internautes. Il n’est pas ici question de substituer le travail de l’archiviste ou du documentaliste à celui d’un usager, mais plutôt d’accompagner ce travail et de combler ses éventuelles lacunes.
L’indexation collaborative comporte également un aspect de démocratisation culturelle. En effet, une classification ouverte et libre de la part des internautes a des retombées sur les plans culturel, social et patrimonial. Selon Bernadette Dufrêne, les folksonomies – ou indexations par l’internaute – encouragent une appropriation des œuvres, un élargissement du public des amateurs et la reconnaissance de la légitimité d’une pluralité de lectures des documents iconographiques. Cette modification du rapport à la culture renforce la notion d’un patrimoine comme bien commun et témoigne d’un partage plus concret entre la communauté scientifique et les amateurs. Évelyne Broudoux affirme également que la production de nouvelles métadonnées, dans le cadre d’une participation des usagers à l’indexation, serait susceptible à terme d’accroître la qualité et la pertinence des résultats de recherche dans les bases, tout en enrichissant la contextualisation des contenus.
Entreprise démocratique, l’indexation collaborative présente néanmoins une limite notable dans le cadre des documents iconographiques : pour que cela fonctionne pleinement, il est préférable que l’indexation soit sérielle, ce qui facilite tant le travail de l’internaute que le contrôle exercé par le professionnel. Or, il n’est pas possible de conférer aux images toute leur signification en se cantonnant à la restitution de données sérielles, souvent externes ou descriptives. C’est ainsi que l’indexation collaborative de documents iconographiques se résume souvent à une indexation de numérisations de textes présentées sous un format image, tel que .jpeg ou .png par exemple, mais qui n’en partagent pas les caractéristiques structurantes.
Il faudrait peut-être dès lors, pour l’iconographie, se tourner vers des projets scientifiques d’indexation collaborative qui associent des professionnels de musées ou encore des chercheurs. C’est le cas du projet de Cranach Digital Archive qui vise notamment l’intégration des nouvelles données de la recherche en histoire de l’art. La participation des chercheurs dans la construction des descripteurs est bienvenue dans la mesure où ils forment une partie non négligeable des utilisateurs de bases de données documentaires. Enfin, cet usage du numérique montre que le développement de l’indexation collaborative d’images fixes n’annonce pas pour autant la fin d’une expertise spécifique, puisque scientifiques et professionnels y sont également conviés.
Morgane Mignon
--> Veille du site Métiers des archives et des bibliothèques: médiation de l'Histoire et Humanités numériques
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